
En répétition
» INÈS. – Parfois je croise Lady Macbeth en bas de chez moi. Je marche et elle est là. Je sais que c’est elle. Elle entre au supermarché. Elle circule entre les rayons. Je la regarde. Dehors le monde est comme toujours au bord du gouffre. Et je la suis. J’imagine l’homme ou la femme qu’elle aime, les conseils qu’elle lui donne, ce qu’elle lui murmure pour sortir de sa condition, pour qu’enfin le pouvoir soit à elle. Et je me dis que tout peut-être a déjà eu lieu, que c’est Lady Macbeth après la guerre, après les meurtres, une Lady Macbeth oubliée, quand tout le monde est mort. Et j’en vois une autre, et une autre. Je vois une, deux, trois, dix, trente Ladies Macbeth, quand je rentre un peu bourrée de soirée, la nuit dans Paris. Les Ladies devenues folles, qui marchent la nuit près des rails des métros, les Ladies qui sont là, les tueuses oubliées, les Ladies qui sont allées en prison et qui sont sorties et que tout le monde a oublié, les Ladies déchues, avec leur chemise de nuit, leur vieux peignoirs, leurs cheveux défaits, leurs yeux hallucinés pleins de coke ou de médicaments, les milliers de Lady Macbeth là, dans les rues, à Barbès, à Belleville, à Ménilmontant, au forum des Halles, dans les quartiers populaires, qui ont toutes eu leur heure de gloire, leur ascension fulgurante et qui ont chuté et qui vivent maintenant dans la paranoïa et l’insomnie, et que personne ne regarde, dont personne ne connaît l’histoire. Voilà, ce que je voudrais faire, partir écouter leurs histoires, par milliers, leurs désastres, ces milliers de Ladies Macbeth des rues et des trottoirs, au lieu de monter un vieux Shakespeare tout pourri. »