« En répétition » aux Éditions Espaces 34

Eva, jeune metteuse en scène, débute les répétitions de son nouveau spectacle, Macbeth de William Shakespeare. Dix ans plus tôt, sa mère, metteuse en scène également, est morte dans des conditions mystérieuses alors qu’elle travaillait justement sur la pièce écossaise.

Entre jalousie, magie et exorcisme, confrontés aux questions de notre temps, Eva et ses interprètes vont peu à peu découvrir que le texte de Shakespeare est, comme le prétend sa légende, véritablement maudit.

Texte sur le théâtre, la représentation et le mal absolu, En répétition parle de la façon dont la création peut finir par rendre fou – mais littéralement – fou à lier et comment l’irrationnel et la destruction hantent notre monde contemporain entre guerres, réchauffement climatique, sentiment d’impuissance, crises politiques.

Ce texte est une commande de Paul Desveaux pour les apprenti.e.s du Studio I ESCA (École Supérieure de Comédien.ne.s par l’Alternance). Il a été créé au Studio I ESCA à Asnières-sur-Seine dans une mise en scène de Vincent Arfa et Paul Desveaux en février 2023.

 

– Et qu’est-ce qui t’intéresse alors dans Shakespeare ?

– La guerre.

– La guerre ?

– C’est le seul sujet qui m’intéresse. La guerre et comment

malgré l’envie qu’on a de vivre en paix, on se massacre,

on se tue, on se viole, on s’extermine. Je suis fasciné par

le mal absolu. Ça me fascine. Ça m’obsède. Le concept

du mal. Je lis des choses là-dessus, tout le temps, sur

les crimes de masse, les destructions totales, les projets

d’anéantissement, les villes que l’on rase en une heure.

Qu’est-ce qui fait que l’on continue à s’entretuer ?

Pourquoi la guerre ? La guerre est-elle dans notre ADN ?

Quel plaisir il y a là-dedans ? Pourquoi ce sont toujours les

salauds, les pires salauds qui accèdent au pouvoir ? Ça me

passionne, ça me fascine.

– Et qu’est-ce que tu vas proposer pour ton parcours

libre ?

– Un meurtre.

Il sort un revolver.

 

 

Quand Paul Desveaux me propose en juin 2022 d’écrire pour les apprenti.e.s du Studio ESCA, il me parle de ce moment singulier qu’est la répétition de théâtre, de ces heures où collectivement et à tâtons un groupe de personnes tente de faire advenir des images de notre monde, de notre manière de le vivre et de ce que signifie être aujourd’hui humain sur notre planète dévastée. Comment réussir à parler avec finesse et originalité du théâtre dans le théâtre ? Le sujet est vaste, passionnant et piégé, la forme bien connue. Difficile en effet de ne pas penser aux centaines d’œuvres théâtrales ou cinématographiques qui mettent le théâtre au cœur de leur dispositif et le jeu de l’acteur en exergue pour parler du monde, des illusions et de la représentation. Difficile également de ne pas fabriquer une pièce qui ne parlerait que du théâtre à celles et ceux qui s’y consacrent. Difficile de ne pas avoir profondément envie de se débarrasser du théâtre. C’est en proposant une fiction où la jeune troupe s’attaquerait à Macbeth de William Shakespeare, en partant de cette légende bien connue que cette œuvre est maudite, que j’ai trouvé, l’axe de la pièce. Cette notion de malédiction me paraissait pouvoir parler précisément de notre époque et de comment la jeune génération peut avoir la sensation d’être maudite par les temps qu’elle vit, comme si ce lointain passé Shakespearien, moyenâgeux, était à leur porte. La guerre, le réchauffement climatique, le sentiment d’impuissance, la fragilité de l’art voire sa vanité pouvaient dès lors entrer dans ses pages, faire effraction dans le théâtre et le balayer. Alors que la guerre en Ukraine avait commencé quelques mois auparavant et que les canicules et dévastations environnementales se font plus pressantes, alors que la société française traverse une crise politique majeure, pleine de rages et d’intolérances, je voulais interroger les jeunes apprenti.e.s de l’ESCA et leur public, sur cette étrange activité qui est la nôtre, d’écrire, de répéter, de jouer et de voir. Pour qui ? À quelle fin ? Qu’y cherchons-nous ? Pourquoi dédier sa vie à cet art ? Et à quel prix ? Pourquoi regarder des images et des corps ? Ce texte parle également de l’imaginaire contemporain traversé par l’angoisse de la fin du monde, par les ruines et les conflits. Petit à petit, la folie les grignote chacun et chacune, la jalousie les dévaste, le théâtre remplit sa fonction cathartique, et les lumières s’éteignent.

 

 

Éditions Espaces 34